Tension politique Janvier 1958

Premier incident de SAKIET SIDI YOUSSEF le 11 Janvier 1958

I/ – L’incident de SAKIET SIDI YOUSSEF, le 11 Janvier 1958 a mis en évidence, dans des conditions particulièrement odieuses l’aide militaire apportée par les autorités tunisiennes à la rébellion algérienne.
En effet :
– Les bandes assaillantes provenaient de Tunisie, où elles se sont retirées après le combat.
Elles ont été repérées exactement par l’aviation, se répandant dans les fermes et les mechtas – rendant impossible des tirs sur de tels objectifs.
– Des véhicules de la Garde Nationale et de l’armée Tunisienne (camions et ambulance) stationnaient en position de recueil à proximité de la frontière.
– Les cinq militaires français capturés par les rebelles ont été emmenés par eux en Tunisie, et l’un d’entre eux au moins a été conduit à Tunis. Les dirigeants du F.L.N ont donné des instructions pour qu’ils soient bien traités, de manière à s’en servir sur le plan politique (le 5ème prisonnier, qui serait un aspirant aurait été emmené à l’hôpital du KEF où il serait mort, et son corps aurait été reporté en Algérie).
Il est probable que le F.L.N a été renseigné sur l’embuscade montée par III/23° R.I dans la région de l’OUASTA, car on s’expliquerait mal le soin avec lequel l’opération a été montée par lui en Algérie et en Tunisie, et l’importance de ses effectifs.

II/ – Le Gouvernement Tunisien a d’abord observé un silence prudent, puis le 14 Janvier, il niait systématiquement les faits et affirmait :
– Le combat s’est déroulé entièrement en territoire Algérien.
– Les véhicules aperçus sont ceux de la Garde Nationale et de l’Armée Tunisienne qui se sont portés à la frontière afin de s’opposer à toute tentative de passage de la frontière par les combattants.
– En conséquences, aucun repli en Tunisie de résistants Algériens et encore moins de prisonniers emmenés par eux n’a pu avoir lieu.
Cette thèse n’a convaincu personne. Tous les journalistes présents à TUNIS sont persuadés de l’exactitude du récit fait par le capitaine ALLARD et rapporté par M.CHAUVEL du FIGARO.
Il est évident que le délai observé par le gouvernement Tunisien a été mis à profit par lui :
– Pour présenter une version de l’incident lui permettant de répondre à la note française de protestation, en s’assurant qu’aucune preuve de sa cabrélienne ne pouvait être relevée.
– Pour obtenir la libération des prisonniers.
– Et après le refus du F.L.N, obtenir leur renvoi en Algérie.

III/ – Toutefois derrière l’attitude ferme et catégorique de la note tunisienne de réponse au Gouvernement français se cachait une réelle inquiétude des milieux tunisiens (civils et gouvernementaux) qui craignaient les réactions françaises non seulement des troupes d’Algérie mais aussi des troupes de Tunisie.
– L’Armée tunisienne a été mise en état d’alerte.
– Sur les instances du Gouvernement Tunisien, les rebelles algériens en Tunisie ont été invités :
• A se tenir sur leur garde
• A quitter leurs emplacements habituels et de s’abstenir de tout mouvement et de toute activité pendant 4 jours.
– Le gouvernement Tunisien a fait interdire les livraisons d’armes au F.L.N dans les dépôts (à TUNIS en particulier).
Le F.L.N a donné des ordres en conséquence et ses représentants ont été sur les lieux pour en vérifier l’exécution.

IV/ – Cet incident n’a pas été « monté » par le F.L.N, comme l’ont laissé entendre certains journalistes et comme cela a été dit au parlement français, pour faire avorter le projet d’alliance avec la France et pour prouver que le gouvernement Tunisien n’est plus maître des Algériens.
Il s’inscrit dans la suite des opérations ordinaires du F.L.N, aidé, soutenu et protégé officiellement par la Tunisie.

V/ – L’annonce de l’arrivée du général BUCHALET a renversé la situation. En quelques heures BOURGUIBA a fait passer au premier plan cet incident diplomatique.
Elle a été considérée :
– dans certains milieux français comme une mesure de durcissement du gouvernement GAILLARD devant avoir des effets presque immédiats, et de ce point de vue, elle n’a pas été envisagée sans une certaine crainte.
– Dans d’autres milieux français, comme une erreur regrettable.
– Dans les milieux tunisiens, comme une mesure d’intimidation inadmissible, mais non sans crainte non plus.
Elle a eu pour résultats :
– de renforcer l’unité BOURGUIBA, en effet, allait affronter l’assemblée constituante avec quelques appréhensions. Son attitude énergique d’abord, et très « détachée » ensuite lui a redonné u prestige certain.
– De donner à BOURGUIBA (qui a connu très rapidement les réactions françaises les plus diverses) l’occasion de se poser en victime, et par cette attitude, de renforcer sa position dans l’affaire de SAKIET.
– Ainsi « fort de son bon droit » vis-à-vis de son opinion et de l’opinion internationale, il pouvait se permettre le discours du 18 Janvier dans lequel il prenait le monde à témoin de son innocence, de la légitimité de sont attitude, de la responsabilité qu’il avait prise avec toutes les conséquences qu’elle comporte, des erreurs du gouvernement français, mais aussi de son désir de ne pas rompre avec la France. Une fois de plus il prenait l’initiative et se permettait à nouveau de « donner des conseils » et d’offrir ses bons offices.
– De détourner l’attention du fonds même du problème : la cobelligérance Tunisienne.
– En affectant la plus parfaite indifférence, le gouvernement Tunisien est cependant à l’affût de tout ce qui peut lui faire craindre une « reconquête ».
Il suit attentivement les réactions :
– des journaux français
– des débats parlementaires
– des discours d’hommes politiques
– des milieux civils et militaires d’Algérie.
Tout en restant cependant convaincu qu’une « reconquête » -quelles que soient les raisons mises en avant par la France– serait condamnée aux nations Unies, il garde ce complexe, dont il a fait aussi un beau moyen de propagande.
Il n’en demeure pas moins vrai, qu’ayant donné tant de gages au F.L.N , il risque aussi d’être submergé, et ce n’est pas le moindre de ses soucis.
S’il demande avec insistance la présence d’une force internationale aux frontières :
– C’est évidemment pour chercher à internationaliser le conflit, et par conséquent être l’intermédiaire qui en récoltera le premier le bénéfice (car il rêve toujours de la place prédominante qu’il aurait dans une fédération maghrébine)
– C’est aussi pour ne plus vivre dans la crainte d’une reconquête française, ou d’un envahissement algérien.

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